Supports perso pour l’huile à l’huile

Depuis ma découverte des propositions de Tad Spurgeon pour peindre à l’huile crue sans résine ni solvant je n’ai pas encore préparé de toile. J’utilise des supports fins qui m’évitent de devoir accumuler des chassis encombrants. Je présente ici ces supports et le mode de préparation que je leur applique au cas où ça intéresserait d’autres personnes.

On verra que ces supports n’aient rien de trop conventionnel et s’éloignent beaucoup de la tradition toile de lin - encollage et enduction à base de colle de peaux.

Les supports

On peut bien sûr utiliser un papier un peu fort [1] mais j’y préfère l’intissé de rénovation murale qu’on trouve dans la plupart des magasins de bricolage en rouleaux de laize d’un mètre en grammage 120 ou 150 grammes.

Il s’agit d’un agrégat de fibres de cellulose et de polyester et donc d’un support qu’il faille absolument protéger par des encollages si ce qu’on veuille éviter soit que l’huile en vienne à brûler la cellulose comme elle le fait sur le papier et les toiles d’origine végétale.

Ce support, en plus d’être très lisse présente l’avantage d’être complètement inerte et de ne jamais gondoler comme le papier. Cet intissé est dense et solide, beaucoup moins facile à déchirer qu’un papier, même fort. Il faudra par contre faire attention à ne pas le plier.

La qualité 120 grammes est sans doute la plus appropriée si l’on envisage de maroufler ses travaux par la suite. Par définition moins absorbante, elle sera aussi la plus économique en terme de consommation pour l’encollage et l’enduction.

Les encollages

Pour encoller comme pour enduire je recoure au liant acrylique d’entrée de gamme de Kremer [2] après des essais parfois calamiteux avec d’autres marques dont certaines produisaient des phénomènes de collage entre supports pendant le stockage.

De toute façon après ces déboires j’ai pris le parti d’encoller le dos des supports et d’y adjoindre une couche de peinture acrylique à mur bas de gamme pour éviter que ce dos soit collant et qu’il soit vulnérable aux taches d’huile qui viendraient à le souiller.

Rouleaux laqueurs téflonnés

Pour ces opérations j’utilise des rouleaux laqueurs de 110 à 60 mm téflonnés [3] qu’on trouve eux aussi dans les magasins de bricolage. Leurs cartouches sont assez onéreuses mais durables si l’on prend la peine de les nettoyer avec soin, non seulement entre chaque usage mais surtout aussi chaque couche.

Si l’on en a la possibilité, il est toujours mieux d’attendre 24h entre chaque couche d’encollage et d’enduction, temps de séchage à fond de liants acryliques. Si l’on n’a pas d’espace suffisant pour ce faire - ce qui est mon cas, on attend au jugé le plus possible que la couche soit vraiment hors-poussière et ne risque pas de se retrouver partiellement dissoute par la suivante.

Détail des opérations :

1. une première couche d’encollage au recto
2. une couche généreuse et soignée d’encollage au verso
3. une couche de blanc à mur au verso [4]
4. une deuxième couche d’encollage au recto
5. découpe éventuelle des lés
6. marquage éventuel du verso en prévision du stockage
7. troisième encollage du verso en insistant sur les rives
8. quatre enductions fines de gesso au verso

On gagne à ajouter un peu d’eau au véhicule d’encollage des deux premières couches afin de faciliter la pénétration de celui-ci au coeur du support. On peut ainsi l’appliquer généreusement sans crainte qu’il crée des rugosités comme le peuvent les couches suivantes si l’on ne prend pas garde à les appliquer fines et avec soin.

Bref, on obtient ici des supports protégés au verso par une couche d’encollage et au recto par trois couches d’encollage et quatre couches de gesso. On peut bien sûr en mettre plus. L’indication ici est juste d’un minima qui prévienne de possibles désordre ultérieurs. L’idée directrice c’est de plutôt multiplier les couches fines qu’essayer de mettre trop de matière. Le support encollé boit beaucoup au départ et moins à partir de la deuxième couche. Il prend pratiquement l’aspect d’une feuille de plastique.

Le gesso

Si l’on a des moyens, on peut choisir d’enduire avec le gesso Talens qui fait l’affaire, bien qu’à mon goût il soit un tantinet trop absorbant. Mais bon, c’est un bon produit : on reconnaît sa qualité au fait qu’il produise un film très fin et souple pour peu qu’on suive les recommandations du fabricant.

Pour fabriquer du gesso perso je suis parti des recommandations d’une recette du site de Kremer .

J’ai à peu près divisé les quantités par deux afin de ne pas risquer d’en produire trop. En l’espèce, à peine modifié ça m’a donné :

 55 gr de blanc de titane
 60 gr de poudre de marbre
 120 gr de blanc fixe

Les résultats des premières tentatives s’étant révélés médiocres et s’étant dégradées au stockage j’ai pris le parti de plutôt préparer chaque ingrédient séparément dans un bol afin de me permettre de mieux comprendre le processus d’agrégation de chaque pigment au liant acrylique.

La poudre de marbre a été le plus facile à préparer : j’ai procédé comme je l’avais fait pour ma "soupe à mater l’acrylique" : adjoignant dans un premier temps suffisamment de liant pour obtenir une boue lisse et homogène, puis rajoutant autant de liant que déjà mis ensuite afin de m’assurer que le carbonate de calcium ne produise pas un film cassant.

À noter que comme indiqué ailleurs je n’aie à aucun moment mouillé les pigments avec autre chose que du liant et donc surtout pas avec de l’eau.

Le blanc de titane a pris beaucoup plus de temps pour obtenir un mélange lisse et s’est révélé plutôt gourmand en liant. J’ai arrêté d’ajouter du liant quand la préparation à ressemblé à de la peinture qui, sans être liquide, pouvait sembler prête à l’emploi.

Le blanc fixe a été la surprise de cette préparation. Son agrégation est très pénible et je recommanderais - ce que je ferai par la suite - de s’équiper d’un tamis de cuisine pour le cribler en préalable, car il fait beaucoup de grumeaux et il faut mettre beaucoup d’huile de coude pour obtenir une pâte lisse de son mélange avec le liant.

Une fois ces trois préparations obtenues j’ai tout mis dans un seau et mélangé l’ensemble.
Quand j’ai testé sur un premier lot de supports il s’est avéré que la préparation séchait trop vite, empêchant de croiser les passages de rouleau suffisamment longtemps pour lisser la couche d’enduit.

Pour y remédier, n’ayant pas de Tylose comme le préconise Kremer [5] mais ne voulant pas ajouter d’eau, j’ai préparé 15 cl de colle à papier peint dans une consistance de crème liquide. J’ai mis de trop de colle au départ et j’ai du jeter le résultat trop pâteux. Après ajout de cette petite quantité de colle mouillée la consistance de la préparation a alors permis d’appliquer l’enduit finement comme souhaité.

Le résultat qui produit environ 600ml de gesso synthétique me satisfait même si il est un peu plastique et que certains préféreront peut-être y ajouter une cuiller à soupe de poudre de marbre mouillée à la colle à papier peint pour le rendre plus absorbant.

Mise en œuvre

L’application au rouleau fait se succéder un premier passage d’enduction véritable du support dans un même sens suivi de plusieurs passages croisés (4 minimum) destinés à homogénéiser et lisser la couche appliquée de gesso.

Il est important lors du passage d’enduction, de veiller à charger la cartouche avec parcimonie, donc en devant souvent la recharger plusieurs fois, et en n’en trempant soigneusement que la partie inférieure dans le seau, évitant ainsi à tout prix de l’immerger entière ou même à moitié, ce qui aurait pour effet d’en remplir de gesso la partie rotative.

Car si l’on n’y prend pas garde et qu’on laisse du gesso pénétrer l’âme de la cartouche, alors il va sécher à l’intérieur, en provoquant des arrêts de rotation voire en rendant cette cartouche bonne à jeter.

On répète l’opération quatre fois au minimum pour obtenir une enduction assez opaque.

En guise de conclusion

Préparer de tels support peut sembler fastidieux. Après tout de nombreux industriels proposent des papiers préparés pour la peinture à l’huile et donc pourquoi au juste en préparer soi-même ?

D’abord et avant tout parce qu’en préparant soi-même ses supports on puisse dans la durée apprendre à en régler les qualités afin d’obtenir un résultat final qui satisfasse à ses propres goût et besoin, à la fois en terme de formats, de texture, d’absorption, voire de teinte.

Mais aussi parce qu’aucun support commercial ne propose de surfaçage aussi lisse que l’intissé et cette méthode d’enduction par couches fines permettent d’obtenir. On pourrait y apparenter les préparations de panneaux classiques avec ponçage de couches de gesso mais ceux-ci sont encombrants et l’encollage à la colle de peaux rigide quand, comme on voit, des supports souples et lisses d’un accès technique et économique relativement aisé, ouvrent de toutes nouvelles perspectives.

mardi 2 juillet 2024, par Philippe Masson


[1L’inconvénient majeur du papier par rapport à l’intissé réside dans l’impossibilité d’obtenir un support encollé pratiquement à cœur : de ce fait les papiers préparés imposent de réserver une partie du bord du support en évitant d’y peindre du fait du risque pour l’huile de pénétrer en rive.

[2Le liant vinylique Caparol peut lui aussi convenir, mais d’une part il est nettement plus cher et d’autre part il faudra absolument l’allonger avec de l’eau pour les encollages.

[3La fonction originelle de ces rouleaux est d’obtenir des laques glycerophtaliques qui s’autolissent en "tirant" au séchage permettant ainsi, au moyen d’étapes d’enductions et de ponçages intermédiaires successives l’obtention d’un poli incomparable des boiseries et meubles laqués. Le nettoyage fastidieux entre les couches à l’eau s’impose.
Le téflon augmente la durée de vie de la cartouche qui peut alors servir quatre à cinq fois plus longtemps, car il limite l’usure des poils de celle-ci. On prendra bien soin de savonner et bien rincer la cartouche comme le manche en veillant en particulier à rincer abondamment l’intérieur de la cartouche qui, si il est mal rincé, finira par empêcher la rotation libre de celle-ci, élément essentiel pour une bonne mise en œuvre. Un tuyau pour sécher le rouleau si il reste humide avant l’application suivante : l’essorer sur un journal.

[4Cette enduction n’est pas optionnelle mais indispensable : elle va permettre de prévenir tout phénomène de scratch entre supports une fois ceux-ci stockés. Car lorsque deux supports collent entre eux, même superficiellement, il est concrètement impossible de savoir exactement quelle part de matériau, si petite soit-elle, a pu être arrachée et à donc quel degré l’intégrité du support, en particulier sur le plan de son étanchéité aux acides, a pu être compromise.

[5Il semble approprié de chercher à limiter au maximum l’apport en méthylcellulose de la préparation dans la mesure où, dérivant de la cellulose, elle ne puisse pas manquer d’être attaquée par l’huile à l’état non-siccativé. Il est est à présumer qu’utilisée en trop grande proportion elle puisse contribuer à fragiliser l’apprêt, ce qui n’est évidemment pas souhaitable. Toutefois ses propriétés de retardateur de séchage étant précieuses et contribuant à la qualité du processus d’enduction, son utilisation reste indispensable. On en considérera donc utile l’usage comme additif mais en aucun cas comme liant à proprement parler.

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